Les couleurs marketing de la cosmétique

les couleurs de la cosmétique

La vaste question du choix, à laquelle nous sommes de plus en plus confrontés, est un sujet dans l’air du temps. A l’heure où les choix critiques à faire dans la vie se multiplient, du choix de parcours scolaire à son nouveau téléphone, les consommateurs se voient en plus confrontés à des dilemmes du quotidien.

Pour autant, le choix n’a jamais semblé aussi compliqué qu’à l’heure actuelle. Il me semblait intéressant de comprendre les mécanismes du choix dans le cadre de cet article.

La couleur et le choix

L’être humain peut distinguer environ 2 millions de couleurs, parfois plus, parfois moins en fonction des individus. Nous avons donc une vraie richesse concernant notre acuité colorielle.
Il existe une unité de mesure quantifie la différence entre deux couleurs, nommée CIELAB. Deux couleurs sont discernables entre elles lorsqu’elles sont séparées par au moins une unité CIELAB.

Cette unité est notamment utilisée dans l’industrie textile ainsi que par les fabricants de colorants : deux unités CIELAB doivent séparer deux coloris, qu’il s’agisse de tissus ou de peintures. Des spectrophomètres, utilisés dans l’industrie cosmétique, permettent également de mesurer avec précision la couleur.

L’être humain perçoit mieux les nuances de vert, héritage de l’omniprésence de cette couleur dans notre chaîne alimentaire (chlorophylle des végétaux, arbres et plantes), à une époque plus ancestrale.5

C’est pourtant sans doute une des couleurs les moins présentes dans les cosmétiques, où le rouge règne en maître.

Homme et femme, égaux face à la couleur ?

Il faut savoir qu’un homme sur 8 ne sait pas différencier le rouge du bleu et du vert et qu’une femme a généralement plus de vocabulaire dans le registre des couleurs : le « saumon » n’évoquera que le poisson à un homme, alors qu’une femme y verra généralement un rose orangé. Une étude révèle d’ailleurs que les hommes peinent à distinguer les nuances au sein d’une même couleur, notamment pour le jaune, le bleu et le vert. L’homme sera généralement capable de nommer tout au plus les couleurs primaires et secondaires.

D’autre part, une étude américaine montre que la couleur est une caractéristique importante à l’achat chez les femmes pour les produits liées à l’expression personnelle (habillement, peinture…), dont font partie les cosmétiques. Pour les hommes, la couleur est plus importante sur d’autres secteurs, plus technologiques, comme les appareils photos ou les jeux.

On note également que l’âge joue dans le choix de la couleur : les jeunes adultes sont plus impliqués dans ce type de décision. Mais de manière générale, la couleur est un critère plus important pour les femmes que pour les hommes. De plus, les femmes sont plus enclines à avoir une couleur préférée que les hommes.

La légitimité de l’existence, par exemple, d’une multitude de fards à paupière de couleurs – produits féminins au possible – parait alors plus viable. Si une gamme de vernis à ongles peut facilement compter plus d’une cinquantaine de teintes, on imagine difficilement le même scénario pour la couleur d’une voiture ou d’une paire de chaussures.

La volonté d’avoir une multitude de choix n’est-elle donc pas propre au secteur des cosmétiques ?

L’impact sur le choix du consommateur

L’esthétique du produit a une incidence certaine sur le choix du consommateur. Un produit coloré judicieusement est attirant en rayon.

D’autre part, beaucoup de gens aiment acheter un produit agréable à l’œil. Toutefois, les couleurs vives, bien que valorisantes d’un point de vue esthétique, peuvent diminuer l’impression de qualité d’un produit. 60 à 90% de la décision d’achat est basée sur la couleur du produit, et cette décision est prise quelques minutes après l’avoir vu. On note d’autre part que les choix de couleurs du consommateur sont issus de comportements acquis et qu’ils changent au fil du temps, notamment en fonction de l’impact des tendances.

Les couleurs sont en effet sujettes aux cycles des différentes industries existantes. On dit que la popularité d’une couleur a un cycle défini d’environ 7 ans, mais les cycles sont beaucoup plus courts dans l’industrie de la mode par exemple. Ceux de la décoration d’intérieur changent en revanche tous les 7 à 10 ans (car plus régulièrement, il en devient trop coûteux de faire refaire sa maison).

La couleur, et de manière générale l’apparence d’un produit, peut revêtir plusieurs rôles, qui influenceront consciemment ou inconsciemment le consommateur dans son choix :

Communiquer : grâce aux logos ou aux couleurs, il est possible pour la marque de se faire reconnaître par le consommateur. Le logo bleu de Nivea est ainsi facilement reconnaissable par le consommateur.

Rendre esthétique : que le produit présente un intérêt fonctionnel ou non, s’il a une forte valeur esthétique, il sera plus spontanément choisi. La marque Benefit Cosmetics est par exemple connue pour ses packagings ludiques, colorés et attractifs.

Symboliser : la couleur, de par sa fonction symbolique, permet d’orienter le consommateur.
Une crème d’un blanc immaculé symbolisera la pureté (de la crème, de sa formule, de la peau…), alors qu’un packaging bleu symbolisera la fraîcheur, l’hydratation. Le noir, l’or, l’argent, évoqueront quant à eux l’opulence, le luxe…

Informer sur la fonction : les couleurs permettent également d’informer sur la fonctionnalité et l’utilisation du produit. Les produits bi-phasés (généralement des lotions avec une phase aqueuse et une phase huileuse à secouer pour mélanger) possèdent ces deux phases colorées différemment pour bien informer le consommateur du type de produit.

Catégoriser : les couleurs indiquent aussi la catégorie du produit. Les eaux (démaquillantes, micellaires…) sont souvent représentées par la couleur bleue, alors que des packagings ocres ou vert indiquent généralement des produits bio ou à base de plantes. Les shampoings et gel douche se parent souvent de couleurs chaudes, pour correspondre à leur fragrance, généralement fruitée ou fleurie.

Attirer l’attention : Si elle permet de catégoriser le produit, la couleur peut également être un facteur différenciant en rayon. Un démaquillant rose parmi une multitude de packagings bleus sort indubitablement du lot.

Bien maîtrisées, les couleurs sont ainsi un outil puissant pour les marques. Dans les cosmétiques, on pourra toutefois remarquer que l’aspect visuel d’un produit a une importance différente en fonction du secteur. Concernant les produits durables (maquillage, parfums), le packaging devra être visuellement agréable, ceux-ci étant utilisés sur une plus longue période et donc plus susceptibles d’être vus par l’entourage. En revanche, pour des produits d’hygiène (shampoings, gels douche…) et moins pérennes, l’objectif sera surtout d’être différenciés en rayon.

Un bref historique des couleurs dans la cosmétique

Les cosmétiques modernes, comme on les connait aujourd’hui, sont en fait le résultat d’une longue évolution des idéaux de beauté et des techniques scientifiques.

En Egypte antique, il y avait l’œil de Râ que l’on reproduisait avec du khôl. Le henné, quant à lui, était utilisé en teinture pour les cheveux et les ongles. Le maquillage s’utilise pour paraitre mais aussi pour des raisons médicales et hygiéniques (contre les moustiques et le soleil). Au XVIIIème siècle, la mode est au teint de porcelaine, le blanc de céruse, les mouches (faux grains de beauté).

On utilisait de la poudre mais sur les cheveux, et le rose des joues se travaillait avec du jus de cerise. A partir du XIVème siècle, les nobles utilisent des crèmes hydratantes, fonds de teint, teintures pour cheveux ou encore parfums. Au XVIIIème, ce sont toutes les classes sociales qui utilisent désormais les cosmétiques. Au XIXème, c’est l’époque des bourgeoises et des courtisanes. Le maquillage est peu présent car il est considéré comme vulgaire en ces temps où la pudeur et la morale sont de rigueur. Ce sont les prostituées et les courtisanes qui se maquillent.

Début du XXème, l’industrialisation permet d’entamer le règne des cosmétiques modernes.

C’est l’ère de la révolution culturelle avec le cinéma et les vamps : les actrices-égéries inspirent la femme et lui servent de modèle. Le maquillage moderne a pour origine le milieu du théâtre et du cinéma, et était initialement utilisé pour se voir de loin : c’était un maquillage lourd pour marquer les traits. Par la suite, le maquillage s’est développé auprès du grand public pour devenir plus accessible et portable.

Début 1900, L’Oréal contribue à populariser la teinture pour cheveux grâce à Eugène Schueller. Nivéasort sa première crème hydratante moderne en 1911. La création de la peinture automobile dans les années 1920 donnera ensuite l’inspiration à Michelle Ménard pour les vernis à ongles actuels. Cette technique sera par la suite parachevée par les frères Revson, qui, en 1932, furent à l’origine du rouge à lèvres assorti au vernis. Dop, premier shampoing grand public verra le jour en 1934.

Années 40 : c’est la beauté en technicolor, la bouche rouge baiser et la chevelure flamboyante. Les années 60 et 70 voient le boom du prêt-à-porter et la Colour Revolution : c’est la démocratisation du make-up. On ose et on s’amuse avec la beauté, qui devient excentrique (le maquillage Twiggy, les faux-cils, les couleurs…). Fin des années 70, la femme prend le pouvoir, elle prône le retour à un glamour militant et fonctionnel : le maquillage est plus dur, moins coloré. Les années 80 voient apparaître le règne du noir, « blackpower », la mode minimaliste et le pouvoir de la neutralité.

La beauté est beaucoup plus simple, c’est le « no-make-up » ou très noir. Années 90 : c’est l’avènement de la beauté bien-être, le maquillage est nude. Un retour aux produits bio et naturels s’opère. Les années 2000 marquent l’accélération de la mode, des collections et le retour de la couleur.

Aujourd’hui, les techniques et la science ont permis de réaliser des prouesses depuis les premières traces de cosmétiques. Les produits sont désormais plus sûrs (sans plomb, sans paraben…) et surtout ce qui nous intéresse ici de plus en plus nombreux.

La pigmentation dans les cosmétiques

Il existe deux types de colorants qui sont utilisés dans l’industrie cosmétique, les pigments et les teintures. Les pigments sont en général insolubles et opaques : ils sont broyés le plus finement possible pour être ensuite mélangés à un liant plus ou moins fluide selon la texture recherchée. Les teintures, translucides quant à elles, se mélangent pleinement à la composition chimique dans laquelle on les incorpore et permettent de colorer de façon homogène une substance.
On utilise davantage les teintures pour les « toiletries » (produits d’hygiène, de body care ou capillaires) et les pigments pour le maquillage. En effet, les shampoings, gels douche et autres bains de bouche sont généralement transparents et les teintures permettent de mieux mettre en valeur les textures translucides. En revanche, le maquillage doit être le plus couvrant possible : l’opacité des pigments est ainsi plus efficace ici.

La symbolique de la couleur dans la beauté

L’impact de la couleur a depuis longtemps été mis en évidence chez l’être humain, que ce soit au niveau physiologique ou cognitif. Cette perception évolue et nous suit au cours de notre vie, car par le biais de l’apprentissage, nous l’associons à des codes et des symboles. Dans le domaine des cosmétiques, la couleur possède ainsi un vaste panel d’interprétations et de symboliques avec lesquelles jouent les marques.

Jaune

Le jaune, couleur du soleil, lumineuse et dynamique, est naturellement associée aux produits solaires. Vif, il colore les rayons de gels douche et shampoings en grande surface. C’est la couleur des huiles, telle la célèbre Huile Prodigieuse de Nuxe. Elle incarne également les produits à base de céréales, de citron, de vanille, de miel, de cire d’abeille, à l’image de la marque Burt’s Bees.

Orange

Enthousiaste, l’orange réchauffe le teint. En packaging et parfumerie, sa couleur tonique symbolise les senteurs d’agrumes. Couleur flamboyante, elle évoque également les produits solaires, à base de beta-carotène ou de vitamine C. Elle est provocante lorsque portée sur les lèvres.

Rouge

Le rouge, couleur de l’amour et de la passion a longtemps été immoral. Groseille, grenat, feu, écarlate, il ourle les lèvres d’une réputation sulfureuse. C’est la couleur par excellence du rouge à lèvres et du vernis à ongle. Au XVIIIème siècle, grâce au jus de cerise, on teintait ses joues. Inspirant la femme fatale et la séduction, c’est la couleur qui attire le plus les hommes. Impressionnante, la couleur rouge respire l’assurance et la confiance en soi. Les packagings rouges attirent l’œil en rayon, et indiquent souvent des produits à base de fruits rouges ou de fleurs, comme le coquelicot de Kenzo par exemple.

Rose

Couleur féminine par excellence, le rose se porte sur les joues et les lèvres. Poudré, il est le symbole de la douceur de la femme enfant, comme la romance aérienne de Ma- demoiselle Ricci L’Eau, de Nina Ricci. Bonbon, il est girly et se retrouve notamment dans les gammes pour adoles- centes ou fillettes. En parfumerie, il évoque bien sûr la fleur dont il porte le nom, mais également les fragrances très féminines : fruitées, fleuries et gourmandes.

Violet

Le violet, couleur mystique et mélancolique, est une couleur moins mièvre que le rose mais toujours évocatrice de la féminité : elle est ainsi largement utilisée dans le secteur des cosmétiques. En notes olfactives, elle est incarnée par la violette ou la lavande. Les fragrances Poison de Dior ou Manifesto d’Yves Saint Laurent s’inspirent de la profondeur mystérieuse du violet sur leur packaging. Un violet excentrique sur la paupière donne un regard énigmatique, un mauve l’adoucit. A son opposé sur la roue chromatique, elle fait quoiqu’il en soit ressortir les iris verts.

Bleu

Le bleu évoque la mer et le ciel, l’infini et le spirituel. Symbolisant les liquides, on le retrouve dans les marques de cosmétiques comme Biotherm, qui proposent des soins à base d’actifs marins et aquatiques. Associé au froid, le bleu est symbole de fraîcheur et de pureté, comme dans les dentifrices. Il est également largement utilisé dans les démaquillants pour les yeux. Sur les yeux, en fard à paupière, en mascara ou en eyeliner, il était à la mode dans les années 80. Du bleu ciel au bleu foncé, en passant par le turquoise et le bleu électrique, il possède une palette de déclinaisons très large. Mentholé, le bleu évoque, comme le vert, la fraîcheur d’un produit cosmétique.

Vert

Évoquant la fraîcheur et la nature, la couleur verte est souvent utilisée dans la communication des marques bio ou des actifs à base de plantes. Symbole de la santé, de la pharmacie ou de la médecine traditionnelle, on la retrouve dans des marques comme The Herborist. Sur la roue chromatique, c’est la couleur opposée au rouge : elle permet donc en maquillage d’atténuer les rougeurs du visage grâce à l’utilisation d’un correcteur vert. En parfumerie, le vert évoque des notes végétales, à l’instar du n°19 de la maison Chanel.

Marron

Rappelant la terre et le minéral, c’est une couleur présente naturellement dans la nature, mais aussi de notre peau à nos cheveux. Les teintes autour du marron sont notamment visibles dans les gammes de fond de teint, ou dans les auto- bronzants. Il évoque aussi le bois et le naturel : le packaging des marques écologiques par exemple, à l’image de Zao, qui propose des emballages en bamboo. En maquillage, il réchauffe le teint grâce à la terracotta. Ses dérivés font partie des couleurs « nudes », dont témoigne le succès des Naked Palettes d’Urban Decay. En parfumerie, les odeurs boisées, épicées ou cuivrées trouvent écho dans le marron, tel Oud de Reminiscence.

Noir

Le noir sublime et sophistique : c’est le raffinement et la sobriété. En trait d’eyeliner ou en en smoky eye charbonneux, le regard devient sombre et mystérieux. On l’utilise depuis l’Antiquité, avec le khol égyptien à base de suie. C’est la couleur par excellence du mascara. En vernis à ongle, il ajoute un côté dark, gothique, profond. Laqué sur le packaging, il évoque le luxe et l’élégance, à l’image du Soin Noir de Givenchy. Le noir accroît également l’illusion de poids : les packagings de luxe, lestés pour paraître plus qualitatifs, se marient régulièrement à cette couleur pour les articles de maquillage. De saturation neutre, il permet, comme le blanc, de mettre en valeur le display des produits lorsqu’on l’utilise sur les stands et rayons beauté.

Blanc

Symbole de la pureté et de l’innocence, on l’utilise en french manucure sur le bord libre de l’ongle pour donner une impression de propreté. Couleur hygiénique par excellence, c’est vers le blanc immaculé que doit tendre la crème des produits de soin. Les marques « Docteur », de dermo-cosmétiques ou encore pharmaceutiques reprennent les codes du blanc pour vanter les mérites de leurs produits, combinés à ceux du bleu ou du vert. Les asiatiques tentent d’atteindre la pureté du teint blanc grâce aux produits blanchissants pour la peau. Par touche en maquillage, elle illumine le visage. La famille olfactive des fleurs blanches évoque des touches sensuelles et enveloppantes.

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